Les techniques psychodramatiques
Étant donné que l'essence du psychodrame se retrouve dans l'action, la grande majorité des techniques employées en psychodrame s'applique lors de l'étape de la mise en scène, lorsqu'il y a jeu psychodramatique. Elles visent le déploiement de la spontanéité pour permettre à l'individu de devenir créatif, de parler au Je : un Je propre chez l'enfant et mature et assumé chez l' adulte. Les techniques les plus fréquemment exploitées seront explicitées, toutefois, Anne Ancelin Schützenberger, dans son livre Le psychodrame (2003), en propose plus d'une centaine que le psychodramatiste peut utiliser en fonction de ses intentions et de sa compréhension du processus de groupe.
- Renversement des rôles
- Le double
- La technique du miroir
- Le soliloque
- Le choeur
- La sculpture
- L'interpolation des résistances
- L'entraînement aux rôles
Renversement des rôles
Une des techniques principales du psychodrame . Elle est à la fois une technique et un principe intimement liés au concept de rencontre chez Moreno parce qu'elle favorise l'exercice de l'empathie en permettant de dépasser l'égocentrisme dans les relations interpersonnelles. Dans le cours de l'action, il y a renversement de rôle lorsque le directeur demande à deux participants de changer réciproquement de rôle, de place et de situation. Il s'agit de tenter « d'être autrui, de l'incarner dans sa peau, son personnage, ses sentiments, son attitude physique, sa manière d'être » (Ancelin Schützenberger, 2003 , p.228).
Moreno (2007) base les principes du renversement de rôle sur les concepts de télé, d'états co-conscients et co-inconscients d'une relation. Ces concepts rejoignent celui d'intersubjectivité. Au niveau du processus de groupe, échanger de rôle avec une personne dans un dialogue joué contribue à une meilleure compréhension de l'expérience de l'autre tout en renforçant le processus de télé, c'est à dire de façon plus élargie, de voir s'établir une communication réciproque plus vraie entre les membres du groupe, parce qu'elle est davantage basée sur l'empathie que sur le transfert (Ancelin Schützenberger, 2003; Moreno, 2007). L'utilisation fréquente et adéquate du renversement de rôle montre bien la dialectique pratique du psychodrame, c'est à dire qu'elle transmet, comme le dit Leutz (1985) « une nouvelle expérience de soi et de l'autre et permet de vivre la relation entre le protagoniste et son contre-rôle comme un tout » (p.l 04). Techniquement, le renversement de rôle est également utilisé, pour pister un egoauxiliaire sur comment il doit jouer son rôle afin de permettre ultérieurement au protagoniste d'entrer plus intensément dans la scène. Cette indication se retrouve en début ou en cours de psychodrame, par exemple lorsqu'une question posée ne peut être répondue par l'ego-auxiliaire puisqu'elle touche directement l'expérience non accessible du protagoniste.
Le double
Concrètement, le double se place derrière le protagoniste et exprime les sentiments, pensées ou sensations qu'il ressent ou devine chez le protagoniste et que ce dernier n'ose exprimer à soi-même ou confier au groupe : colère refoulée, angoisse paralysante, culpabilité ou honte, etc. « Le rôle du double est à la fois d'actualiser et de faire venir à la conscience du protagoniste des sentiments préconscients, et d'aider le psychodramatiste à orienter au besoin le protagoniste dans une certaine voie qui lui paraît utile pour viser plus d'introspection et de créativité » (Ancelin Schützenberger, 2003 , p.I83). Avant d'approfondir une scène à partir de ce qui a été nommé par le double, le directeur doit vérifier si le protagoniste est en accord avec ce qui a été doublé, c'est à dire s'assurer que cela fait du sens pour lui.
Lorsqu'un membre du groupe sans rôle attitré se met dans la peau du protagoniste sans qu'il n'y ait renversement de rôle, la technique du double est utilisée. bPar conséquent, saisir suffisamment la réalité subjective du protagoniste pour tenir le rôle de son double implique encore une fois l'effet des processus de télé, de coconscients et de co-inconscients du groupe. De plus, la prise de ce rôle est rendue possible par un processus d'identification avec le protagoniste.
La technique du miroir
Un ego-auxiliaire fait le portrait de l'image corporelle et sociale ainsi que de la vie inconsciente du protagoniste; il le montre comme dans un miroir tel que les autres membres du groupe le voient. La technique du miroir est utilisée quand « le client est incapable de se représenter lui-même par des paroles ou des actes » (Moreno, 2007, p.I87).
Dans l'espace réservé au groupe, donc en dehors de la scène, le protagoniste observe son apparence et ses comportements propres qui sont reflétés par l'ego-auxiliaire qui se trouve dans l'espace réservé à l'action. Souvent, le protagoniste est surpris, si ce n'est pas perturbé, par la représentation de son portrait, comme la première réaction de l'enfant devant son image spéculaire. Néanmoins, s'il accepte l'image reflétée, une nouvelle étape, par rapport à la conscience et connaissance de soi personnelle et en interaction avec les autres, est franchie.
Le soliloque
La technique par laquelle on demande au protagoniste de dire tout haut ce qu'il en est de son langage intérieur, de ses pensées secrètes ou de ses sentiments refoulés (Ancelin Schützenberger, 2003). Par exemple, dans la situation où le protagoniste joue un rôle d'enfant perturbateur devant rencontrer la directrice de son école, le directeur du psychodrame, en aparté de l'action, demande de verbaliser tout haut ce qu'il ressent avant d'aller voir sa directrice.
Le soliloque d'entrée de jeu ou en fin de dramatisation peut donner, au directeur ou au protagoniste, des pistes d'explorations nouvelles ou une compréhension mieux intégrée de la situation. Complémentaire à la technique du miroir, le soliloque est une technique qui permet la connaissance de soi.
Le choeur
Le groupe entier ou un sous-groupe d'ego-auxiliaires est prié de répéter en écho et en choeur certaines phrases ou mots clés du protagoniste (Ancelin Schützenberger, 2003). Cette technique à plusieurs membres du groupe a pour effet d'amplifier des sentiments, sensations et pensées du protagoniste.
La sculpture
À travers une sculpture humaine composée de membres du groupe, le protagoniste peut représenter symboliquement sur la scène une situation qui est problématique pour lui, par exemple la constellation familiale de laquelle il est issu. Le directeur peut lui demander de se placer à l'intérieur afin de débuter une dramatisation.
L'interpolation des résistances
Cette technique consiste à demander à l'egoauxiliaire de jouer différemment de ce qui est attendu par le protagoniste. Pour Moreno (2007), cette technique est une fonction de la réalité, car celle-ci offre continuellement une résistance aux attentes de la personne. En des termes psychodramatiques, cette technique consiste à confronter l'attente quant au rôle du protagoniste.
L'entraînement aux rôles
Lorsque l'action est davantage centrée sur un but éducatif ou rééducatif, l'entraînement de rôles ou le jeu de rôle vise à permettre à l'individu de se pratiquer dans un rôle peu maîtrisé ou inédit. Dans le premier cas, il devient un jeu de rôle prospectif à valeur rééducative. Une scène psychodramatique prospective peut se mettre en place après l'exploration et les prises de conscience survenues dans une première scène tirée du vécu du protagoniste. Ensuite, il s'entraînera à la conduite qu'il a ressentie comme la mieux adaptée à la situation jouée. Dans ce cas, le renforcement positif des co-acteurs, du thérapeute et du groupe joue un rôle important car l'expérience de la réaction adéquate et spontanée de ceux-ci augmente la confiance du client en sa propre spontanéité, ce qui l'encourage dans la création de rôles de plus en plus adaptés. Dans le deuxième cas, c'est-à-dire se pratiquer à un rôle inédit lié à une situation tout aussi inédite, l'entraînement de rôle prend une forme davantage éducative. Par exemple, s'entraîner à la prise de rôles fictifs à travers l'improvisation. Souvent il s'agit de s'entraîner à des rôles sociaux: jouer le rôle d'un policier, d'un coach de hockey, s'entraîner à commander au restaurant, etc.