Origines du psychodrame
L'idée de se mettre en scène pour « se guérir » remonte à la tragédie grecque avec Aristote qui prônait les vertus cathartiques de ce divertissement. Au début du siècle passé, le psychodrame fut inventé par le psychosociologue Jacob Lévy Moreno. Le théâtre de la spontanéité donnera naissance au premier psychodrame thérapeutique avec les répercussions cathartiques observées sur la jeune actrice Barbara: « en jouant avec application un rôle, et prise à son propre jeu, cette jeune étudiante se trouvait guérie de sa névrose de caractère, et ses rapports conjugaux devenaient plus harmonieux » (Ancelin Schützenberger, 2003, p.25). Installé aux États-Unis dans les années 30, Moreno s'intéresse à la psychothérapie de groupe, crée la sociométrie et approfondit le psychodrame. Depuis, le psychodrame se pratique selon divers modèles théoriques.
Au milieu du XXe siècle, plusieurs Écoles de pensée étaient compartimentalisées et les professionnels de la santé mentale adhéraient à une ou à l'autre. L'éclectisme semblait superficiel et n'était pas une alternative respectable. À partir de la fin du XXe siècle, avec la prolifération des théories de la personnalité et des approches thérapeutiques, un mouvement vers un éclectisme intelligent cherchant à inclure des principes intégratifs a pris de l'importance (Blatner, 2007). Ainsi, adhérer à une seule École de pensée au plan théorique ou pratique correspond à une illusion romantique et simpliste, et peut être perçu comme une conserve culturelle. À la différence de beaucoup de systèmes psychologiques fermés sur eux-mêmes qui affirment de façon plus ou moins doctrinaire leur incompatibilité avec les autres systèmes, le psychodrame a pu, grâce à sa souplesse théorique et sa fécondité pratique, se faire adopter par les tenants de différentes approches. Un cadre transthéorique et multidisciplinaire supporte convenablement les fondations théoriques du psychodrame telles que conçues par Moreno, puisque le psychodrame fait appel à une intervention profondément holistique intégrant dans l'action le corps, l'esprit et les émotions d'une personne (Blatner, 2007).
Cette perspective postmodeme éclectique et intégrative est congruente avec le fait établi qu'aucune théorie unique ne peut englober le vaste champ de la psychologie (comment la psyché fonctionne et la personnalité se développe?), de la psychopathologie (comment la psyché devient dysfonctionnelle?) et de la psychothérapie (quelle approche thérapeutique aide?). De nouveaux paradigmes en recherche sont constamment développés; le consensus théorique est loin d'être atteint en psychologie.
Cependant, pour développer une théorie et une pratique psychodramatique, Moreno a élaboré les concepts de spontanéité, de rôles, de sociométrie et de psychothérapie de groupe. À partir de ces concepts, il a mis au point un modèle psychologique du développement de la personnalité, de la souffrance et de la guérison d'une personne: le psychodrame de groupe. De plus, les théories sous-jacentes au psychodrame classique, dit morénéen ou traditionnel, peuvent être reliées à un éventail de théories psychologiques qui influencent le considérable champ de la psychothérapie de nos jours. Tout ceci fournit un puissant cadre de travail théorique et pratique pour viser une transformation personnelle.
Spontanéité et créativité sont des concepts intimement liés dans la théorie de la spontanéité de Moreno. À cet effet, on retrouve souvent le concept global de spontanéité créatrice dans la littérature sur le psychodrame (WidlOcher, 2003, Ancelin Schützenberger, 2003, & Moreno, 2007). La spontanéité et la créativité sont les phénomènes positifs à la base de la motivation des conduites humaines (Moreno, 2007; Blatner, 2007). La spontanéité est donc une dimension essentielle dans la conception psychodramatique classique ou morénéenne de l'être humain. Pour Moreno (2007), la spontanéité est le facteur métapsychologique qui régit les interactions entre les forces héréditaires (biologiques) et environnementales (sociales) et d'où émerge le pouvoir d'invention et la créativité. Opérationnellement, « la spontanéité (du latin « sua sponte » : de l'intérieur vers l ' extérieur) est une réponse adaptée à une situation nouvelle ou une réponse originale à une situation ancienne » (Moreno, 2007, p.4S). La spontanéité éveille la créativité, elle en est le catalyseur. La spontanéité existe à des degrés variables d'utilisation et met l'individu dans un état de ressentir des émotions et d'avoir des pensées qui sont transposées adéquatement en action dans l'ici et maintenant. Elle s'épuise donc avec le présent et doit être constamment renouvelée. Pour être effective, la spontanéité doit être déclenchée, c'est-à-dire mise en train; elle requiert d'être libérée et se déclenche le mieux au contact de la spontanéité d'autrui, de la mise en train d'autrui. Moreno tire cette condition sine qua non de sa compréhension du processus de mise en train naturel opérant dès la naissance de l'enfant. À partir de cette observation, il conçoit une théorie développementale de la personnalité ou en d'autres mots, une théorie du développement de l'enfant, de laquelle sont issues plusieurs notions fondamentales de la pratique et des processus thérapeutiques du psychodrame de groupe.
La théorie de la spontanéité conduit à la théorie des rôles. Encore une fois, Moreno tire plusieurs concepts psychodramatiques de sa compréhension du développement des rôles d'un individu en corollaire de celui de sa spontanéité. En fait, celle-ci croît simultanément avec le développement de rôles (Moi) et leur donne énergie et unité. Dans le premier univers indifférencié, où se constitue la matrice d'identité, la mère joue son propre rôle et induit celui de l'enfant: complémentarité parfaite sans conscience de l'hétérogénéité des deux rôles. Pour en sortir, constituer la matrice d'identité différenciée et passer au second univers, le jeu de rôle a une fonction déterminante pour l'enfant: le renversement de rôle se substitue à la matrice d'identité initiale et permet à l'enfant de découvrir ses propres rôles en tant que rôles parmi d'autres.
Au fil de ce processus, trois types de rôles sont développés selon Moreno (2007) :
- Rôles psychosomatiques exprimant la dimension physiologique du Moi : rôle du mangeur, du dormeur, rôle sexuel, etc.;
- Rôles psychodramatiques exprimant la dimension psychologique du Moi, c'est-à-dire les actions relatives aux personnages et choses tant réels qu'imaginaires qui se développent par l'intermédiaire des interactions avec l'environnement: une mère, un dieu, un monstre, un enseignant, etc.;
- Rôles sociaux exprimant la dimension sociale du Moi, c'est-à-dire que progressivement l'individu parvient à différencier les incarnations réelles de celles de l'imaginaire et ainsi naissent les rôles sociaux qui sont ceux qu'il adopte dans sa vie ou qu'il reconnaît chez l'autre: rôle de ma mère, de mon père, de mon enseignant, je suis un sportif, etc.
Parce qu'elle couvre toutes les dimensions de la vie d'un individu (biologique, psychologique et sociale), la description de ces trois types de rôles élargit la théorie sociologique du rôle de G.H. Mead (1934, tiré de Moreno, 2007), limitée à la seule dimension sociale. La théorie psychodramatique du rôle conçue dans une orientation psychiatrique est plus large, elle devient en soi, jumelée à la théorie de la spontanéité, une théorie de la personnalité et des relations interpersonnelles.
EXTRAITS TIRÉS DE :
Rosay, A. (2011). Proposition d’utilisation du psychodrame de groupe avec des enfants de 8 à 12 ans en suivi thérapeutique dans l’équipe de santé mentale jeunesse de 1ère ligne en CLSC. Trois-Rivières : Université du Québec à Trois-Rivières, Essai de 3e cycle.